
La marche en laisse a ceci de particulier qu’elle peut donner à voir le cœur de la relation entre un maître et son chien. Tout dans une marche en laisse nous apprend quelque chose : au niveau du comportement de l’un et de l’autre, pris isolément tout d’abord, puis au niveau des échanges entre l’un et l’autre, même le matériel utilisé peut nous dire quelque chose, et enfin, évidemment, on en apprend beaucoup en observant l’entité que l’un et l’autre forment au regard des autres.
La marche en laisse revêt donc pour moi une importance particulière, et c’est souvent ce que je mets en place en premier lors de mes séances d’éducation. C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle j’ai décidé de mettre en place des promenades éducatives en milieu urbain, promenades qui ont pour base la marche en laisse.
Pourquoi s’intéresser à la marche en laisse ?
Les chiens sont des marcheurs, c’est un besoin. La marche leur permet de répondre aux besoins physiques de régulation interne, de dépenses d’énergie, d’activités physiques, mais également d’explorations visuelles, olfactives, auditives, de marquage du territoire, de rencontres avec des congénères et autres espèces, de découvertes et d’interactions. Nos chiens ont également le besoin de construire et consolider leur relation au référent, c’est-à-dire leur maître. La marche est une excellente manière de répondre à ce besoin.
Pour nous, humains, la marche a une qualité d’apaisement et de retour sur soi bénéfique au corps et à l’esprit, d’autres l’ont dit et prouvé avant moi, je ne m’étends pas sur ce point. Nous avons également besoin de construire et consolider notre relation à nos compagnons canins, même si ce besoin peut ne pas nous apparaître de prime abord ou nous sembler plus lointain, moins pressant, ne serait-ce que parce que nous avons d’autres relations et d’autres activités qui nous remplissent et nous font du bien.
Nos chiens, eux, n’ont pas toujours voire rarement cette opportunité, celle de pouvoir développer d’autres relations que celle qu’ils ont avec leur référent ou tout simplement ont moins l’occasion de pouvoir répondre à leurs besoins (tous leurs besoins) en notre absence. A nous donc de satisfaire ces besoins de manière adéquate, intelligente et agréable.
Et nous voici donc au début de la compréhension du « pourquoi la marche en laisse est importante pour l’un ET l’autre » et comment la marche en laisse devient le miroir de la relation entre l’un et l’autre.
Observer le comportement de l’un et de l’autre, pris isolément
Le principe de la marche en laisse c’est que, par la force des choses, l’humain et le chien sont reliés l’un à l’autre par un objet physiquement repérable, que l’un et l’autre sent, à savoir la laisse.
Ils sont reliés, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont ensemble. L’objet laisse, comme n’importe quel outil n’est pas en soi un gage de volonté. La laisse, ce cordon, ne dira et ne fera rien d’autre que ce que l’un et l’autre voudront bien en faire. Et là, l’observation de l’humain et du chien, pris isolément, nous apprend déjà énormément sur la relation du moment.
J’insiste sur ce dernier point : il n’y a pas de relation figée : on n’est pas comme ci ou comme ça, avec son chien et inversement. En revanche, on peut être à un moment donné plutôt ceci ou plutôt cela. L’objectif bien sûr est que la marche, en laisse, avec son chien soit la plus agréable possible pour l’un et l’autre. En n’oubliant pas que la notion d’agréable sera très variable d’un humain à l’autre et d’un chien à l’autre.
C’est pour cette raison que je parle de relation. Mon objectif est bien de travailler sur ce que les deux vont réussir à créer ensemble. L’idée est donc de trouver l’équilibre entre les deux, humain et chien.
Revenons donc au fait que la laisse n’est pas en soi synonyme de relation. Elle n’est qu’un objet de liaison entre un humain et un chien. Si vous vous amusez à observer maître et chien lorsqu’ils se promènent en laisse, vous pourrez ainsi voir de multiples tableaux où deux échelles se croisent et/ou s’ignorent. L’échelle de l’attention de l’humain à son chien qui part d’une déconnection totale à une attention quasi obsessionnelle, et l’échelle de l’attention du chien à son maître, qui part d’une indifférence absolue pour se terminer sur une focalisation excessive. Le meilleur curseur pour mesurer le placement de l’un et de l’autre sur « son » échelle est le regard, mais l’attitude corporelle, la tenue et la mobilité des oreilles (je parle du chien ici) notamment ne sont pas à oublier.
Disons que nous pouvons rencontrer d’innombrables situations :
cas d’une relation d’indifférence où maître et chien s’ignorent copieusement :
- où le maître peut par exemple être focalisé sur son téléphone portable, la laisse enroulée autour du poignet parce que c’est plus pratique pour faire autre chose … autre chose qu’être avec son chien, il marche machinalement, souvent en ligne droite, au bord de l’allée ou du trottoir
- et où le chien, laisse bien tendue, droit devant, est tout à ses besoins personnels, il renifle, il marque, il défèque, tout cela sans un regard et sans attention particulière, c’est-à-dire en tirant comme un boulet l’humain qui est à l’autre bout de la laisse.
Chacun dans sa bulle.
autre cas, où l’un et l’autre se créent une bulle exclusive, maladive :
- maître et chien sont littéralement scotchés l’un à l’autre, rien d’autre n’existe, le chien n’arrive pas ou ne veut pas faire « rentrer » un peu d’extérieur, souvent par crainte, et l’humain reste focalisé sur les réactions de son chien.
L’un et l’autre dans une bulle excluante et qui alimente les travers voire les phobies de l’un ou de l’autre.
Il n’y a pas de définition d’une relation saine et équilibrée, puisque elle est propre à chacun, mais il est possible de poser quelques jalons pour pouvoir repérer ce qui fait problème ou posera problème sans changement. Ici, nous avons focalisé notre observation sur les comportements de l’un et de l’autre et si l’on s’arrête à cette première observation, voici 3 points qui me semblent être la base d’une relation saine et équilibrée :
le regard est fondamental : la laisse n’est qu’un outil de liaison, le regard commence à créer une relation
la posture corporelle : être attentif sans excès c’est être en capacité de se rendre compte de ce que vit l’autre : que l’autre change de direction, m’appelle, me demande quelque chose, a eu peur ou voudrait bien aller jouer….
la laisse est un outil de rapprochement, ce n’est pas elle qui fait que l’on est avec.
Observer les échanges entre l’un et l’autre
Passons à l’observation des échanges entre l’humain et son chien. Encore une fois, la laisse n’est qu’un outil, et seul, l’outil n’a pas de volonté. C’est de cette volonté, du croisement de la volonté de l’un et de l’autre que va naître quelque chose durant la marche en laisse. C’est pour cette raison que la marche en laisse est le miroir de la relation.
Chaque propriétaire de chien devrait ainsi se poser une série de questions.
- Que se passe t’il lors de la marche en laisse ? Est-ce que je partage quelque chose avec mon chien ? Est-ce que mon chien partage quelque chose avec moi ?
- Pour quoi, dans quel-s but-s je sors mon chien ? Est-ce pour qu’il fasse ses « besoins » ? Pour qu’il découvre l’extérieur ? Qu’il puisse être stimulé par toutes ces choses, odeurs, bruits …dont il a aussi besoin ?
- Combien de temps j’accorde à mon chien lors de la marche en laisse ? Est-ce suffisant et pour quoi est–ce suffisant ?
- A quoi je sers à mon chien lors de la marche en laisse ? Et mon chien, à quoi me sert-il pendant cette marche en laisse ? Qu’est-ce que l’on s’apporte mutuellement ?
Autant de questions qui pourraient paraître facultatives et qui pourtant nous amènent à questionner le fondement de la relation que l’on souhaite avoir avec son chien et celle que l’on souhaite lui proposer.
Lors de mes séances d’éducation canine et notamment celle sur la marche en laisse, je donne souvent le même exercice à faire : « Est-ce que vous pouvez me dire combien de regards vous échangez avec votre chien pendant vos promenades en laisse ? » La plupart du temps, le maître est perplexe, et trop souvent, la réponse est « aucun ». Après la première séance, je donne l’exercice suivant « Essayer de compter le nombre de regards échangés avec votre chien durant vos promenades en laisse et de noter qui a initié ces regards le plus souvent, vous ou votre chien ».
Lors de la séance suivante, le résultat est là, si c’est l’humain qui a initié le plus souvent des échanges de regards, le chien, mis en situation de pouvoir construire et échanger quelque chose avec son référent, sera immanquablement l’initiateur le prolifique pour la suite et pas uniquement lors de la marche en laisse.
Les questions précédentes nous renvoie donc au type de relation que l’on souhaite construire avec son chien et ce que nous lui proposons de développer à nos côtés. Observer les interactions, c’est se donner le temps de questionner tout ça et les moyens de modifier ce que l’on souhaite modifier, pour l’un, l’autre, et les deux.
Que nous dit l’observation du matériel choisi et de son utilisation ?
Le matériel utilisé est également symptomatique de la relation que l’on a avec notre chien. Ce n’est pas qu’une question de pratique ou de finances, car bien souvent, deux types de laisse ou de colliers peuvent répondre aux mêmes besoins ou exigences. Il y a donc dans le choix du matériel quelque chose de révélateur dans la relation que l’on a et souhaite avoir avec notre chien ou inversement, c’est-à-dire que le chien souhaite pour lui-même et son maître, tant il est vrai que certains chiens nous amènent, par leur comportement, à choisir tel ou tel type de matériel plutôt que tel autre.
Il semble évident que lorsqu’un particulier propriétaire de chien va choisir le matériel laisse + collier, son choix nous dira beaucoup sur la relation qu’il veut entretenir avec son chien ou sur la vision qu’il a de son chien.
Sans vouloir entrer dans la discussion polémique des matériels désignés comme outils de torture (collier étrangleur, collier à piques notamment), je préfère largement considérer que c’est l’intention qui prime. En somme, si un maître veut développer une relation de domination avec son chien par exemple, ce n’est pas tant le choix du matériel qui va nous le dire bien que cela puisse déjà être un indice, mais plutôt la manière qu’il aura de l’utiliser. Et cela nous amène à observer de manière plus précise et à ne pas s’arrêter à l’image renvoyée par le type de matériel.
Pourquoi serais-je plus indulgente avec un maître qui a mis un harnais à son chien .. s’ il ne cesse de donner des coups brusques intempestifs sur la laisse pour que son chien arrête de tirer ? Alors qu’un autre avec un collier étrangleur ou chainette aura un maître attentif et soucieux des échanges avec son compagnon ?
Le matériel peut nous dire quelque chose de la relation entre un maître et son chien, certes, c’est un premier indice, mais essayons de ne pas nous arrêter à cela et observons avec plus d’acuité la manière de l’utiliser. Il s’agit là de ne pas s’arrêter à l’image et aux stéréotypes pour éviter de passer à côté de quelque chose.
Comprendre l’entité que l’un et l’autre forment au regard des autres.
Ne nous leurrons pas, si le regard de l’autre est important pour nous dans diverses situations, notamment dans la rue, il l’est également au sujet de notre chien et du duo que nous formons avec lui. Qu’il s’agisse d’éviter les regards désapprobateurs (parce que l’on a oublié de prendre un sac à caca, si, si, ça nous est tous et toutes arrivé au moins une fois), de chercher le regard d’admiration du passant parce que notre chien est le plus beau, le mieux dressé ou le plus sympa, ou le plus moche… ou encore qu’il s’agisse de passer la rue au radar pour surtout éviter toute perturbation ou toute attaque potentielle d’une meute de loups en liberté … autant de comportements qui donnent à voir un peu de ce binôme et qui en dit long sur la relation humain – chien.
La première chose que j’observe lorsque je croise un chien et son maître dans la rue, c’est l’impression générale qu’ils dégagent ensemble. Nous ne mesurons pas à quel point nous interagissons avec notre chien, même de manière inconsciente. Le plus frappant sont sans doute les postures de peur et de crainte qui s’autoalimentent du chien vers son maître et du maître vers son chien, mais il existe bien d’autres « entités » et cela donne toujours à voir quelque chose de la relation créée entre les deux.
Il ne faut pas négliger que certains modifient leur comportement lorsqu’ils se sentent observés, voire, lorsqu’ils sont dans la rue tout simplement. L’espace public devient alors une scène où tour à tour et selon les uns et les autres, on se restreint (c’est le cas de ceux et celles qui font beaucoup de câlins, voire qui « gagatisent » à la maison et qui n’osent pas en public), on sur-domine (exemple des maîtres qui veulent absolument montrer que leur chien est bien dressé : cas fréquent des maîtres qui s’énervent ou crient sur leur chien si celui-ci ne répond pas immédiatement), on sur-protège (le nombre de petits chiens qui sont pris dans les bras, voire qui ne les quittent jamais…)… bref, on sur-joue la relation pour donner à voir quelque chose de ce que l’on forme avec son chien.
Peu importe les motivations du maître, le chien est généralement très réceptif à ces changements de comportements et y réagira à sa manière, selon ses propres ressources et motivations.
En bref
La marche en laisse nous donne tant de choses à voir. En s’obligeant à une attention particulière sur le comportement du chien, de son maître et de ce qu’ils mettent en place lorsqu’ils se sentent observés, nous pouvons apprendre beaucoup de la relation vécue et souhaitée. Cela nous permet de voir les forces et les faiblesses du duo et de pouvoir en faire un support de travail pour développer les bases d’une relation saine et équilibrée.
La marche en laisse est l’un des rares moments dans la journée où le maître fait quelque chose avec son chien et où le chien à l’occasion de faire quelque chose avec son maître : accordons du temps à ce moment, évitons de le remplir d’autres choses (téléphone, courses …). Et faisons en sorte que ce moment ait une signification, pour l’un, l’autre et le duo.